27 Mars 2018

L’atmosphère de Triton à la lumière des étoiles

Pour pouvoir analyser l’atmosphère de Triton, une campagne dirigée par l’astrophysicien Bruno Sicardy a utilisé un alignement rarissime entre la Terre, la lune de Neptune et une étoile. Grande première, les coordonnées fournies par le télescope orbital Gaia ont permis d’établir les points d’observation.

La plus importante lune de Neptune réserve bien des surprises. D’abord, l’orbite de Triton est rétrograde : sa rotation est inversée par rapport à celle de sa planète mère et inclinée. Il y a aussi la présence de mécanismes actifs à sa surface (geysers, possible tectonique des plaques), et la présence d’une atmosphère significative chargée en azote, difficile à étudier à plus de 4 milliards de kilomètres de la Terre. « Étudier Triton, c’est essayer de décrypter son cycle de l’azote », confirme Bruno Sicardy, astrophysicien au LESIA (Observatoire de Paris). Un équilibre délicat malgré les températures extrêmes : à -233°C, la glace d’azote se sublime en gaz… De quoi stimuler des mécanismes quotidiens et saisonniers, que l’on retrouve sur la cousine supposée de Triton, Pluton. « Plusieurs similitudes laissent penser qu’avant d’être un satellite, Triton était une planète avec des caractéristiques identiques, capturée par Neptune lorsque le système solaire s’est stabilisé ».

La sonde Voyager 2 permet de lever le voile en survolant pour la première fois Triton en 1989, mais depuis les astronomes utilisent une autre méthode, indirecte, pour observer cette lune : profiter d’un alignement entre la Terre, Triton et une étoile en arrière-plan. Même si ce passage ne dure que quelques minutes, la perturbation qu’entraine la lune sur le spectre lumineux de l’étoile est ensuite relevée et étudiée. L’occultation stellaire permet en 1997 de constater grâce à Hubble un réchauffement de l’atmosphère de Triton, mais ces alignements sont rarissimes.

« Depuis 2002, plus de 15 campagnes ont pu être organisées pour observer l'occultation de Pluton, mais celle de 2017 a été la première réelle occasion pour Triton en 20 ans ! », confirme M. Sicardy. Le 5 octobre 2017, l’étoile « UCAC4 410-143659 » passait derrière Triton et pour que l’observation de cette occultation soit une réussite, l’objectif était de coordonner les laboratoires impliqués avec une précision nouvelle. Car lorsque la lune est parfaitement centrée par rapport à l’étoile en arrière-plan, son atmosphère créé un « flash ».

« Cela fonctionne comme une lentille qui nous donne des informations très précises sur les couches les plus denses, à 10 km de la surface de Triton ». Avec à la clé, un véritable trésor lorsque plusieurs observatoires peuvent rassembler leurs données : « Son profil de densité de température, la présence de vents et leur puissance, mais aussi la présence de brumes et de nuages en observant le flash dans différentes longueurs d’onde ».

Toutefois l’occultation stellaire de Triton est un événement très court dans le temps. Trois minutes en tout, dont quelques secondes seulement de « flash ». Il convient donc de prévoir le parcours de cet événement (tel une éclipse solaire) avec la plus faible marge d’erreur. Pour cela, Bruno Sicardy s’est tourné vers les équipes du télescope orbital Gaia, qui a pour objectif de cartographier plus d’1,3 milliards d’étoiles proches et leurs déplacements. Un référencement unique, qui sera publié en avril 2018.

« Les données de Gaia sont très attendues, pour nous elles étaient capitales. Et comme l’observation de Triton est très rare, les équipes nous ont exceptionnellement donné accès aux données du catalogue en avance » souligne Bruno Sicardy. La coopération va même au-delà de la position et du déplacement de l’étoile de l’occultation : l’équipe Gaia transmet les coordonnées de plus de 450 étoiles, qui ont aussi permis de raffiner la position exacte de Triton avant le 5 octobre. Avec une précision de l’ordre de la milliseconde d’arc (la zone d’observation du « flash » sur Terre équivaut à 3ms d’arc), les données de Gaia ont permis de raffiner la position des équipes pour l’occultation de plus de 300 km. « Nous avons collecté 80 rapports d’observation, dont plus de 25 contiennent des données du flash, c’est exceptionnel ».

bpc_gaia_flash_triton.png

Légende : Estimation de la trajectoire de l’occultation de Triton le 5 octobre 2017 raffinée grâce aux données étendues du télescope Gaia © ERC Lucky Star Project, Bruno Sicardy

La campagne a d’ailleurs mobilisé de gros télescopes d’observatoires (aux Canaries, en Espagne et en Grèce notamment), mais plus des deux tiers des données viennent de la recherche participative. Associations, clubs et passionnés d’astronomie ont observé l’événement depuis l’Europe et les Etats-Unis. « Grâce à ces participations amateures, nous pouvons combiner les données et obtenir une vision de l’atmosphère de Triton sur l’ensemble de sa surface. C’est un état des lieux presque équivalent à celui des instruments de Voyager 2 ! » conclut Bruno Sicardy, qui a pu organiser cette campagne d’observations grâce au soutien de l’Union Européenne pour son projet « ERC Lucky Star ».

Pour aller plus loin

Sur le site de l'ESA : http://sci.esa.int/gaia/60011-chasing-a-stellar-flash-with-assistance-from-gaia/

Contacts

  • Bruno Sicardy, astrophysicien au LESIA (Observatoire de Paris, CNRS, Sorbonne Université, Université Paris Diderot) : bruno.sicardy at obspm.fr
  • Olivier La Marle, responsable du programme Astronomie et Astrophysique, CNES, olivier.lamarle at cnes.fr

Triton vu lors de son survol par Voyager 2 en 1989. Crédits : NASA/JPL/USGS