16 Novembre 2018

La galaxie fantôme traquée par Gaia

La mission Gaia vient de mettre en lumière un évènement majeur survenu lors de la formation de notre galaxie. La Voie lactée serait le fruit d'une fusion avec une plus petite galaxie baptisée Gaia-Encelade. "Cette découverte bouleverse les frontières des structures galactiques telles qu'on les envisageait jusqu'à présent", estime Carine Babusiaux, chercheuse à l'IPAG/OSUG, responsable des simulations pour la mission Gaia et cosignataire de la publication parue dans Nature.

Distribution sur le ciel des étoiles de Gaia-Encelade. ©ESA/Gaia/DPAC; A. Helmi et al 2018

Gaia détermine la position et le mouvement des étoiles

Après cinq années de mission, le satellite Gaia affiche une moisson de données incomparable. L'objectif de départ : recenser les coordonnées (position et vitesse) en trois dimensions d’environ 1 % des étoiles appartenant à notre galaxie. Aujourd'hui, plus de 1,7 milliards d'étoiles ont été positionnées et le catalogue continue de s'enrichir avec l'analyse des mesures encore non traitées. In fine, les quelques 450 scientifiques et ingénieurs de la mission européenne comptent dresser une représentation 3D de notre galaxie et des mouvements qui l'animent. Pour ce faire, trois instruments scientifiques compilent les données : l'astromètre mesure la position des objets célestes, le spectromètre donne leurs vitesses le long de la ligne de visée et le photomètre leurs propriétés physiques (température, gravité, métallicité, etc.).

Un groupe d'étoiles à part

Au cours de ce recensement, 30 000 étoiles se sont distinguées par leurs étranges propriétés : « Grâce aux vitesses radiales de ces étoiles calculées au CNES, les chercheurs ont observé qu'elles tournaient dans le sens inverse aux centaines de milliards d'étoiles qui constituent notre galaxie. Elles avaient de plus, une orbite un peu plus elliptique que les autres étoiles. En parallèle, d'autres équipes ont déterminé leur couleur et magnitude absolue et constaté, là aussi, que ces étoiles faisaient bande à part sur le diagramme Hertzsprung-Russell qui classe les étoiles selon leur température et luminosité », rapporte Carine Babusiaux. Trop singulier dans notre paysage, ce groupe stellaire avait certainement une origine exogène mais il fallait encore deux éléments supplémentaires pour valider l'hypothèse : la composition chimique des étoiles -déterminée grâce au spectrographe APOGEE- a confirmé que ces intruses n'appartenaient pas à notre galaxie lors de sa naissance; par ailleurs, des simulations numériques menées par l’équipe d’Amina Helmi de l'université de Groningue (Pays-Bas) ont démontré que la fusion de deux galaxies pouvaient aboutir à une situation similaire à celle observée dans cette population d'étoiles (voir la vidéo ci-dessous).

Simulation d'une collision entre une jeune galaxie comme la Voie lactée et une plus petite galaxie comme Gaia-Encelade © Koppelman, Villalobos & Helmi, Kapteyn Astronomical Institute, University of Groningen, The Netherlands

La galaxie Gaia-Encelade

Tous les résultats convergeaient vers le même scénario : notre galaxie aurait fusionné lors de sa jeunesse, il y a environ 10 milliards d'années, avec une plus petite galaxie. Cette dernière représentait tout de même un quart de la Voie lactée (en masse) qui a donc été totalement remaniée par cette assimilation. Par la suite, notre galaxie a effectué d'autres actes de cannibalisme mais avec beaucoup moins d'appétit. Cette ancienne fusion demeure un évènement majeur dans l'histoire de la Voie lactée. Baptisé Gaia-Encelade en référence au géant grec Encelade, fils de Gaia (la Terre) et d'Uranus (le ciel), ce corps étranger s'est complètement fondu dans notre horizon et ses vieilles étoiles constituent aujourd’hui l'essentiel du halo interne de la Voie lactée. Quant aux étoiles originellement présentes dans notre galaxie, elles ont été fortement contrariées par cette ingestion massive d'étoiles exogènes.

Notre galaxie perturbée

En altérant le système préexistant, l'accrétion de Gaia-Encelade aurait contribué à l'évolution du disque épais vers sa forme actuelle. « Les mesures de Gaia nous montrent que les perturbations extérieures ont des effets importants sur notre galaxie », résume la chercheuse. C'est également la conclusion d'une autre étude tirée des observations de Gaia et publiée par Nature en septembre. Dans cette dernière, le calcul des vitesses radiales effectué par le CNES pour 6 millions d'étoiles a mis en évidence des populations ayant des rotations non uniformes autour du centre galactique. Situées dans le disque mince, ces populations ondulent comme si elles faisaient écho aux vibrations d'un choc ancien ou lointain. D'après les simulations numériques, ces mouvements particuliers seraient dus au passage de la galaxie naine du Sagittaire à proximité de la Voie lactée, il y a 300 à 900 millions d'années. « Ces récentes études remettent en cause la vision parfois simpliste que l'on avait des mouvements stellaires. Nous révisons complètement notre façon d'aborder la dynamique galactique ». Les chercheurs ne sont pas au bout de leur surprise car bientôt, le satellite Gaia livrera son troisième catalogue de données, disponible pour de nouvelles découvertes.

Publication

Amina Helmi, Carine Babusiaux, Helmer H. Koppelman, Davide Massari, Jovan Veljanoski & Anthony G. A. Brown (2018) The merger that led to the formation of the Milky Way’s inner stellar halo and thick disk, Nature, 563, pp85–88.

Contacts

Carine Babusiaux
IPAG/OSUG et Observatoire de Paris/ GEPI

Courriel : carine.babusiaux at univ-grenoble-alpes.fr
Tel : 04 76 63 56 17

Philippe Laudet
Responsable du programme Astronomie et Astrophysique du CNES
Courriel : philippe.laudet at cnes.fr
TEL : 05 61 27 31 18 / +33 5 61 27 31 18
Adresse : Centre National d'Études Spatiales, 18 Avenue Édouard Belin, 31401 Toulouse Cedex 9, France